Service civil : Une longue histoire

, par  C. Barbey

Durant plus de 90 ans (la première pétition demandant un statut pour les objecteurs date de la fin du 19ème siècle), la question de l’objection de conscience et du service civil est restée un sujet presque tabou et pour les personnes concernées une situation de non-reconnaissance et une cause de répression.
Les peines de prisons étaient longues (habituellement, plus de six mois, parfois plus d’un an), parfois répétitives si l’on n’était pas exclu de l’armée et les objecteurs les plus radicaux refusaient aussi la taxe militaire, qui à l’époque allait à l’armée (actuellement, dans le budget général de la Confédération), avec des condamnations chaque année.
Le chiffres des objecteurs, dans les années 80’ était d’environ 500 par année. Ce sont donc des milliers de personnes qui ont été ainsi condamnées et qui ne sont d’ailleurs toujours pas réhabilitées (même si toutes les inscriptions au casier judiciaires ont désormais été radiées ; elles s’effacent automatiquement après quelques années).

Il y eu des demandes éparses pour faire un service civil, mais aussi des demandes politiques variées, dont deux initiatives populaires et un référendum demandant un statut pour les objecteurs durant tout le 20ème siècle, y compris durant les périodes de guerres.

Finalement, le principe du service civil a été enfin accepté par le peuple et les cantons en 1992, suite au tremblement de terre helvétique suscité par la votation du 26 novembre 1989 lorsque l’initiative « Pour une Suisse sans armée et une politique globale de paix » qui avait obtenu, quelques jours après la chute du Mur de Berlin, 35,6% de oui !

Depuis les années 60, le problème était devenu plus grave, lancinant. Les objecteurs pour motifs religieux ou moraux étaient condamnés par des tribunaux militaires à environ 6 mois de prison, à faire en semi-détention. Les autres, soit 2/3 des condamnés, objectant pour des raisons considérées comme politiques étaient condamnés à une peine de prison ferme de 8 mois en moyenne. La peine pouvait être encore plus sévère, jusqu’à deux ans ferme, selon l’attitude de l’objecteur face au tribunal ou selon la composition et la volonté de nuire des juges militaires. Selon une jurisprudence constante, les « bons » objecteurs étaient ceux qui distinguaient entre le bien et le mal (motifs religieux, voire éthiques) alors que les « mauvais » objecteurs distinguaient entre le juste et le faux, ce qui était considéré comme des motifs politiques. Les moins chanceux n’étaient même pas exclus de l’armée si le tribunal jugeait que leur conviction n’était pas assez ferme.

Chaque année, des dizaines d’objecteurs jusqu’aux années 60, puis des centaines dès les années 70 ont été jetés en prison pour des motifs de conscience. L’année 1984 vit le chiffre record de 788 condamnations.

L’initiative dite de « Münchenstein », lancée en 1970, qui voulait accorder un véritable service civil aux objecteurs, a été balayée par le peuple. Une autre initiative basée sur la « preuve par l’acte » – les objecteurs devaient prouver leur bonne foi en acceptant d’effectuer un service civil d’une durée d’une fois et demie le service militaire (le système actuel, comme quoi ...) – a subi le même sort en 1984. 25 ans plus tard, en 2008, c’est pourtant cette solution qui a été adoptée, sans le moindre regard en arrière. A quand la réhabilitation des objecteurs condamnés ? Détails.

En 1989, le GSsA obtenait un excellent score pour son initiative demandant la suppression de l’armée (35.6% des citoyen-ne-s, plus d’un million de suffrages et deux cantons qui acceptent l’initiative : Genève et Jura). Sur cette lancée, en 1990, le Parlement accepta une modification du Code pénal militaire, appelé « Projet Barras » du nom de l’auditeur en chef (procureur général) de l’armée à l’époque. Ainsi, les « bons » objecteurs pouvaient être condamnés à une astreinte au travail d’une fois et demie la durée du service militaire refusé. Un référendum fut lancé par les milieux des objecteurs qui jugeaient le projet insuffisant. Les milieux réactionnaires lancèrent également un référendum, car ils ne voulaient même pas décriminaliser les « bons » objecteurs. La loi Barras fut néanmoins acceptée par le peuple en juin 1991.

Parallèlement, après les révélations sur l’armée secrète P26 et les services secrets P27, le GSsA lançait un appel au refus collectif de servir pour l’année 1991. Ainsi, les objecteurs pouvaient se réclamer d’un mouvement collectif. Malheureusement le mouvement ne connu que peu de succès et les tribunaux militaires y furent indifférents. On peut aussi citer le projet de service civil du Parti Démocrate Chrétien en 1990.

Finalement, c’est par une initiative parlementaire que la situation se dénoue et que le peuple a pu voter la modification constitutionnelle de l’ancien article 18 de la Constitution (actuellement 59) et le 17 mai 1992, par 82,5 % de oui (un des plus fort taux d’acceptation de l’histoire suisse !) l’existence d’un service civil est acceptée.
Il a encore fallut 4 ans de plus au parlement pour accoucher de la loi d’application du service civil, qui a été votée en 1996, et qui est entrée en vigueur le 1er octobre de la même année.
Enfin, faire autre chose que servir dans l’armée est possible !

Plusieurs modifications de cette lois sont intervenues depuis.
La principale étant l’abandon de l’examen de conscience en 2009. Abandon qui a fait passé le nombre d’objecteurs par année d’environ 2’000 à environ 5’000, soit environ un quart de l’effectif militaire.
Le service civil, qui rend un immense service à la population reste pourtant l’objet de nombreuses attaques de la part de milieux proches de l’armée, lesquels sont encore bien représenté au parlement.
Pour le soutien ou la défense des civilistes, voir leur association : CIVIVA

En théorie, les objecteurs doivent toujours avoir un conflit de conscience, la confirmation de la demande de service civil doit en attester. En pratique, c’est sans importance puisque l’existence du conflit de conscience n’est pas vérifiée et que rien n’est prévu pour cette vérification.

En pratique, la preuve par l’acte consiste en une durée plus longue pour le service civil que pour le service militaire, une fois et demie la durée du service militaire restant à faire pour les soldats, un peu moins pour les officiers (1.1). Dans les faits, cette durée est toutefois bien plus longue, un peu moins que le double de ce que font les soldats, car les militaires ne finissent tous les jours auxquels ils sont astreints, alors que les civilistes y sont strictement tenus (détails).

Tout cela va donc à nos yeux dans la bonne direction, mais reste insuffisant.

Nous considérons que l’exigence du durée reste discriminatoire, pour trois raisons :
– D’abord parce que celui qui se met au service de la société devrait pouvoir le faire dans des conditions réellement similaires que ce soit à l’armée ou dans le civil.
– Ensuite, nous l’avons vu, l’effort consenti est en fait plus élevé que le facteur de 1.5 voulu par loi. Les civilistes doivent impérativement faire la totalité des jours auxquels ils sont astreints, alors que les militaires qui atteignent la limite d’âge sans avoir tout fait, sont dispensés du solde.
– Enfin, il n’y a pas de compensation financière plus élevée pour le surplus de jours que font les civilistes. Ainsi, un civiliste qui n’a pas fait d’armée touche des indemnités de perte de gain réduite à 80% du dernier salaire pendant 8 mois au lieu de 4 et demi pour un soldat (l’école de recrue ou les 4 premiers mois de service civil qui sont au minimum, soit actuellement - 2018 - 62.- par jour, ne sont pas comptés dans ce calcul). La charge financière est donc plus élevée pour le civiliste d’un facteur 2 et non pas 1.5.

La révision du service civil de février 2011

L’introduction de la preuve par l’acte en 2009 a provoqué une explosion du nombre de demandes de service civil, qui sont passées de 2000 à 8000 en une année … Avec parfois des conséquences étonnantes à l’exemple de cette section d’une école de recrue dont la moitié du personnel a demandé le service civil le même jour…
Bref, les militaires et le Conseil Fédéral n’ont pas du tout apprécié de voir un une partie de leurs effectifs leur glisser si facilement des mains. La réponse est venue en février 2011 (par la voie d’une ordonnance non soumise au référendum) avec l’ajout d’un certain nombre de tracasseries (dont un délai nettement allongé empêchant des demandes depuis les cours de répétition) pour l’admission au service civil, ainsi que de diverses complications importantes pour son exécution. Si le nombre de demandes a quelque peu baissé, en particulier les demandes faites depuis l’armée, le service civil reste très demandé. (Voir les pages sur la demande de service civil et sur la durée du service civil).

Le Conseil Fédéral démontre ainsi qu’il entend faire du service civil un régime si ce n’est punitif, du moins discriminatoire, ce qui est au contraire aux recommandations internationales qui prône des systèmes égalitaires en durée et en charge.

Nous continuerons donc à demander, et le plus vite possible, une mise à niveau des prestations fournies par les uns et les autres.

Nous demandons aussi que le service civil soit plus orienté vers la promotion de la paix. Actuellement, 80% des affectations se font dans le social ou l’environnement.

La taxe militaire (ou d’exemption)

Pendant de nombreuses années, les personnes exemptées de l’armée et celles qui ne faisaient pas une période de service, y compris les objecteurs, devaient payer ce qui s’appelait alors la taxe militaire. Ne pouvant concilier cela avec leur conscience, nombres d’objecteurs voyaient le montant de la taxe saisi et devait faire, chaque année, une dizaine de jours de prison. Il faut ici leur rendre hommage pour le courage, souvent anonyme, qu’ils ont mis à faire valoir leurs convictions.

Avec l’introduction du service civil, la loi sur la taxe a été révisée pour devenir la loi sur la taxe d’exemption et son produit (environ 160 millions en 2013) va désormais dans le budget général de la confédération. Les peines de prisons ont été transformées en amende mettant ainsi fin à ce débat politique (contrairement à la prison, qui peut être médiatisée et politisée, les amendes sont discrètes ; cela a été un forme de "désarmement" des objecteurs à la taxe). Ailleurs dans le monde une nouvelle forme d’objection apparaît, le refus de payer la part de ses impôts directs qui va au budget militaire (voir par exemple Conscience and Peace Tax International.

La cour européenne des droits de l’homme a condamné en 2009 la loi sur la taxe d’exemption, (taxe très rare ailleurs en Europe),considérant qu’elle est discriminatoire pour ceux qui souhaitent pourtant servir, mais qui ne le peuvent pas parce que l’armée ne les a pas admis au recrutement. La taxe ajoute des complications à leur inaptitude au service, voire à leur handicap.
Ainsi celui qui souhaite servir et qui peut raisonnablement le faire plutôt que de payer la taxe doit pouvoir le faire. Il peut désormais en faire la demande. Il doit alors repasser un recrutement et il peut ensuite, s’il est admis et s’il le souhaite, entrer au service civil. Le système est toutefois totalement dissuasif, puisque le nombre de jours à faire reste le même, mais dans un délai de plus en plus en court en fonction de l’âge, puisque ces les jours doivent être faits avant 34 ans. Le système n’est donc utile que pour des personnes relativement jeunes. Le Conseil de l’Europe doit encore se prononcer sur les suites données au jugement (automne 2014) et nous espérons qu’il constatera cette façon insuffisante de résoudre le problème.

A l’international

L’objection de conscience, admise dans les pays britanniques dès la première guerre mondiale, gagne tous les pays d’Europe et au-delà dans la deuxième moitié du XXème siècle. Elle obtient aussi sa reconnaissance internationale progressivement, dans des recommandations d’abord, dans les jurisprudences ensuite. L’objection de conscience est désormais un droit pleinement reconnu, dans le monde entier et en Europe en particulier par une décision récente (Bayatyan c. Arménie, 2011) de la Cour européenne des droits de l’homme. Il reste quelques pays qui doivent encore le comprendre et le mettre en oeuvre (pour les détails, en général et par pays, l’Internationale des résistants à la guerre) . Et il reste pas mal à faire, y compris chez nous, pour obtenir des régimes qui ne soient pas discriminatoires. Le comité des droits de l’ONU (organe juridique du pacte sur les droits civils et politiques) a aussi reconnu le caractère universel du droit à l’objection de conscience, comme faisant partie de la liberté de conscience et de religion. Le Conseil des Droits de l’Homme adopte tous les 4 ans environ, une résolution reconnaissant le droit à l’objection, y compris dans les armées professionnelles. Il mentionne aussi ici le droit à l’objection en relation avec le droit à la vie, ce qui est nouveau et constructif (voir annexe).

Longue histoire, à suivre donc…

Dernière mise à jour : Janvier 2018

ONU. Objection 7.2012
ONU. Objection 9.2017

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